Il y a quelques mois, j’ai traversé deux évènements largement traumatogènes. Un accident domestique et le décès de mon père. Coup sur coup. L’un après l’autre, à quelques jours d’écart.

Cela m’a complètement déstabilisé. J’ai du cesser mon travail d’accompagnement des personnes victimes de violences sexuelles et autres traumatismes.

D’un coup, d’un seul, j’ai été reprojetée de l’intérieur dans ce que je connais bien et ces sujets pour lesquels je forme des thérapeutes.

J’ai quasiment tout de suite compris ce qui m’arrivait. Mais le vivre de l’intérieur, je dirais que ça faisait longtemps que cela ne m’étais pas arrivé.

Alors, comment ai-je fais pour traverser et continuer de traverser ?

J’ai mis en oeuvre exactement ce que je répète à tous mes clients et clientes : j’ai fait de moi ma priorité. J’ai mis de côté ma vie professionnelle, les demandes de rendez-vous, les demandes de formation, j’ai délégué mon travail de formatrice, j’ai réorienté mes clients et clientes. Et, je me suis concentrée sur moi et ma famille, mon fils et mon mari.

Durant ces quelques mois qui nous séparent des évènements que j’ai vécu mi avril, j’ai essayé le plus possible de ne faire que ce qui était une ressource pour moi-même. C’est à dire une source de soutien pour mon corps, mon coeur et mon âme.

Et, j’ai fait beaucoup de peinture, de rénovation, de bricolage. Cela a été ma manière à moi de me recentrer, de me réconcilier, de me consoler, de me soutenir. J’ai transformé ma salle de bain, mon entrée de maison, mes wc. J’ai bati des murs à la chaux et au chanvre, coulé une dalle, peint des poutres, réparé des trous dans les murs, fait du map, de l’enduit, du béton chaux, bref, j’ai mis la main à la pâte, ma pâte. Je me suis concentrée sur tout mon être pour qu’il retrouve un vrai souffle de vie.

C’était la première fois que je me retrouvais de si près face à la mort. Je l’avais déjà vécu mais autrement, dans d’autres circonstances. Quand on voit un corps sans vie, de très près, je pense que nous entrons dans un état second, un état modifié de conscience et qui nous projette dans une réalité quasi silencieuse : tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Vivre, c’est maintenant. Se choisir, c’est toujours le choix possible. Se soutenir, devient l’indispensable.

Juste avant de réanimer mon beau-fils de 5 ans et demi, je suis entrée comme dans un genre de tunnel. Je n’entendais plus rien. J’étais focalisée sur lui. Je cherchais le battement de son coeur. Je ne le trouvais pas. Et, puis, j’ai fait. Le massage cardiaque. Le bouche à bouche. J’ai senti son coeur qui est reparti. J’ai accueilli son souffle qui était revenu. Un miracle.

J’ai pensé à Peter Levine dont j’avais lu Trauma et Mémoire et qui racontait comment lors de son accident de voiture, il entendait tout ce qu’on lui disait mais ne pouvait répondre. Je me suis souvenue de la description de la voix de la médecin qui l’a soutenu. Je me souviens qu’il disait que cette voix douce et rassurante lui a apporté de l’intérieur un réconfort sans nom qui lui a permis de reprendre contact avec toutes les sensations de son corps et de continuer sa vie, ici et maintenant, dans ce corps. Cette voix qui lui a presque redonné vie.

Alors, je lui ai parlé. Doucement, d’une voix rassurante. Je lui ai tout expliqué. Je lui ai dit qui le touchait, pourquoi on le touchait. Je l’ai rassuré même si il ne reprenait pas conscience. Même si il ne me répondait pas. Je lui ai chanté des berceuses. Je lui ai caressé les cheveux, ses petits bras. J’ai voulu qu’il se sente bien, qu’il puisse revenir dans son corps, qu’il reprenne sa place dans toutes les parties de son corps. Et, trois jours plus tard, il est sorti du coma indemne. Aucune lésion cérébrale. Il s’était sauvé.

Choisir de se faire confiance dans un moment comme celui-ci s’est plus qu’imposé à moi. C’était comme ça.

Alors, en vous écrivant, j’ai un message à vous transmettre : faites du mieux que vous pouvez chaque jour, osez faire ce qui vous appelle. La vie est incroyable. Surprenante. Et, parfois, elle s’envole en un éclair.

Aujourd’hui, je continue à me faire confiance.